Je remercie infiniment le Marquis de Trazegnies pour sa très aimable et sagace relecture.
Il
y a exactement deux cents ans naissait un saint homme et un homme
d'action,
La
tragique épidémie de coronavirus Covid-19 n'a pas permis de fêter
ce bicentenaire comme il se doit au jour ad hoc. A cause des
directives drastiques de confinement, j'ai choisi de rendre
hommage à Monseigneur de Merode par les écrits de ses contemporains, dont la plume est
infiniment plus élégante que la mienne. Je dédie cet hommage à
tous les héros des épidémies.
Si
on détaille les états de service de Xavier de Merode, il faut
mentionner qu'il fut capitaine (1847) et chevalier de la Légion
d'Honneur (1844). Il a ensuite embrassé une carrière
ecclésiastique, mais aussi politique, et il est devenu camérier
secret de S.S. le Pape Pie IX (1850), pro-ministre
aux armées des États Pontificaux (1859), chanoine de la
basilique Saint Pierre (1859), archevêque de Mélitène (1866) et
aumônier général. Il est décédé peu avant de devenir cardinal,
son nom devant figurer dans la prochaine promotion.
Monseigneur
de Merode est né comte Frédéric
François Xavier Ghislain de Merode, à Bruxelles le 26 mars 1820.
Il
est le fils cadet du Comte Félix de Merode, député et ministre,
Félix qui fut un des créateurs de l'Etat belge en 1830 et qui fut pressenti pour le trône de Belgique.
Monseigneur
de Merode a pour ancêtres des membres des plus grandes
maisons et cours d'Europe, notamment : Nassau, Rubempré, Salm, Croÿ,
Montmorency, Hohenzollern par son père, et Noailles, Cossé-Brissac,
Beauffremont, Polignac, Saluces par sa mère Rosalie de Grammont ...
Et bien d'autres illustrissimes encore. On ne présente plus la
maison.
A
trois ans, Xavier perdit sa mère, et peu de temps après, son très
jeune frère Philippe. Son père se remaria avec Philippine de
Grammont, la soeur de la défunte. La grand-mère de Monseigneur de
Merode, la marquise de Grammont, s'occupa beaucoup de lui et l'aida
dans son apprentissage de la charité.
Xavier
était un enfant espiègle et avait beaucoup de répartie. Au collège
de Juilly, ses facéties et ses bons mots ont laissé un souvenir
amusé.
Le
bulletin mensuel du collège rappelle que même s'il ne fut pas un
élève particulièrement brillant, il pouvait se distinguer à
l'occasion dans ses domaines de prédilection.
« Excellent
cavalier, il obtint le 17 août 1835 les éperons et la cravache
d'honneur dans les exercices équestres qui précédaient chaque
année la distribution des prix. Cependant Xavier eut quelques succès
en allemand et en mathématiques. En 1837 il remporta même un prix
d'algèbre, mais il se garda d'en rien dire. Quand on l'apprit dans
sa famille, on lui fit des reproches sur son silence. Il répondit
que rien n'est plus naturel, ayant entendu dire que ceux qui avaient
des prix n'étaient souvent que de futurs imbéciles... »
Un
collaborateur d'Alphonse Daudet, le journaliste et écrivain Pierre
Véron, décrit l'homme adulte de façon très imagée dans Le
Charivari
:
« Au
physique, M. Xavier de Mérode est grand, mince, sec, flexible
jusqu’à être serpentin. Il a le nez aquilin et profondément
saillant. Ce nez qui rappellerait peut-être celui de ce père Aubry
que Chateaubriand a placé dans Atala, donne, dit-on, toute la clé
de son caractère. (...) Les yeux sont noirs, pétillants et
suffisamment spirituels. Quant à la voix du monseigneur, ce n’est
plus celle d’un homme habitué à dire à une escouade de dragons
ou de chasseurs : «Allons, tonnerre de d..., mes enfants,
enfoncez-moi ce carré-là avec vos lattes ou bien prenez-moi cette
redoute.» Non, ce serait plutôt la voix de chattemite que Victor
Hugo prête dans Notre-Dame de Paris à maître Jehan Charmoluc,
procureur du roi en cour d’église. Il ne s’y trouve que des
cordes tendres, des demi-tons, des inflexions angéliques. C’est
cette voix-là qui a donné saintement le signal de la bataille de
Castelfidardo. A voir aujourd’hui Mgr l’archevêque de Mélytène
malade, buvant avec componction de l’eau ferrée aux sources de
Pougues (Nièvre), qui croirait que l’ex-ministre de Pie IX ait été
jadis, en Belgique et même à Biskara, un joyeux compagnon de
chambrée, ce qu’on appelle un loustic de régiment ? (...) le
futur ministre du pape cultivait l’esprit jusqu’à la pointe et
n’était pleinement satisfait que lorsqu’il avait l’heureuse
chance de rencontrer le calembour. Tout passe. A cette ardeur
juvénile pour la blague de bivouac ont succédé des pensées plus
graves et les protocoles diplomatiques. »
D'après
ses interlocuteurs, Monseigneur de Merode était en réalité très
humble et vertueux. Nous en avons le témoignage de l'écrivain et
diplomate Henry
d'Ideville :
« Nous
avons eu l'honneur de connaître de près Mgr de Mérode à Rome en
1869 et de passer avec lui bien des heures en conversation intime. Il
était d'humeur gaie, grave dans ses discours et d'une admirable
vertu. S'étant laissé aller dans la chaleur de la conversation à
quelques phrases peu mesurées, nous nous permîmes de lui en faire
quelques observations. Il les accepta sans difficulté, avec une
édifiante humilité ; c'est à ces traits que l'on reconnaît les
saints, et celui-là devait en être un. »
Cette
vertu ascétique et cette humilité se percevait aussi dans
l'ameublement de son appartement au Vatican, comme le dépeint
l'officier et homme de lettres, Léon
Massenet de Marancour :
« Une
table en chêne ouvré, quelques chaises garnies en crin, d'immenses
cartes stratégiques d'un travail exquis, de lourds dossiers, des
livres, des journaux, çà et là répandus sur le parquet,
l'Indépendance, le Monde, le Figaro, la Gazette, le Siècle, la
Revue des Deux Mondes, le Charivari, M.
de Mérode sait tout, voit tout, lit tout. »
Sa
chambre, entre le militaire et le monacal, était encore plus
dépouillée que son cabinet, suivant le même auteur.
« Tandis
que vous feuilletez l'album, le ministre a disparu dans la chambre à
côté. Vous jetez involontairement un regard indiscret, et vous
apercevez, à la lueur de deux petites lampes suspendues aux côtés
d'un christ en ivoire, une planche sur deux tréteaux en fer,
sur cette planche un mince matelas, mal dissimulé par une simple
couverture. C'est le lit de Monseigneur de Mérode »
Rien
à voir avec la somptueuse « chambre Monseigneur », au
château de Rixensart, où Xavier de Merode se reposait lorsqu'il s'y
rendait.
Sa
bravoure et sa générosité se sont encore confirmées par son
comportement exemplaire lors de la grande épidémie de choléra de
1854.
« Son
dévouement et son courage se révélèrent dans toutes les
circonstances.
Le
choléra sévissait d'une façon terrible à Rome en 1854; ce fut
pour Mgr de Mérode une nouvelle occasion d'en faire preuve, en
exposant sa vie avec autant de simplicité que d'abnégation. Il
parcourait les hôpitaux tout le jour, soignant les malades avec une
ardeur, un entrain, qui remplissaient de stupéfaction la cour
pontificale. — Le Pape visita alors plusieurs hôpitaux et
couvents, toujours accompagné de son inséparable Mérode. — Sa
Sainteté ayant appris que l'hôpital militaire français de
Saint-André était le plus éprouvé de tous, et le véritable foyer
de l'infection cholérique, fit prévenir de sa visite l'abbé
Bastide, l'aumônier de l'hôpital. Le Saint Père arriva à trois
heures, en grand équipage, devant la porte de Saint-André, suivi de
sa maison. Mais, soit qu'ils eussent obéi à l'ordre de Pie IX, soit
qu'ils se fussent excusés, les personnes de la suite restèrent en
voiture. Le Pape pénétra seul avec Mgr de Mérode, qui précisément
lui avait conseillé cette visite, et ils s’arrêtèrent auprès du
lit de chaque malade. La visite fut longue et eut de très heureux
résultats, en réconfortant le moral de nos pauvres militaires.
Pendant
ce temps, les équipages de la cour pontificale attendaient sur la
place du Quirinal, et, lorsque le Pape remonta en voiture avec son
fidèle Mérode, la suite se trouva beaucoup plus rassurée. Le
lendemain, le cardinal Antonelli, qui n'avait pas été consulté au
sujet de la promenade de la veille, dit devant Sa Sainteté à Mgr de
Mérode : « Dieu permettra sans doute que le Saint-Père échappe à
la contagion; mais cette visite était bien imprudente, Monseigneur;
songez quelle responsabilité pèserait sur nous s'il arrivait un
malheur ! - Eh bien, quoi ! reprit le prélat avec sa brutale
franchise, et après? Le Saint-Père a accompli son devoir de
pasteur, voilà tout ! S'il eût été frappé par le mal, quelle
mort plus glorieuse et plus belle lui souhaiteriez-vous ! » Le Pape
reprit en riant : « Eh ! eh ! Éminence c'est qu'il dit bien vrai,
Mérode; si je mourais ce soir, ne croyez-vous pas que ma mort ne fit
grand bien à l'Église ? » »
Cet
extrait est tellement d'actualité en ces temps de pandémie due au
coronavirus Covid-19. On songe à l'héroïsme des médecins qui
soignent les nombreux malades en dépit de carences en matériel et
en effectifs. Et c'est avec ce même héroïsme que Monseigneur de
Merode combattait le choléra et soignait lui-même les malades.
Quant
à la question de la contagion, il faut savoir que le bacille virgule
du choléra n'a pas la même contagiosité que le coronavirus. La
contamination du choléra se fait par la consommation de boissons ou
aliments souillés et non par des contacts lors de simples visites.
C'est en 1849 que John Snow avait publié sa théorie concernant la
transmission du choléra par l'eau (en contradiction avec l'ancienne
théorie des miasmes, c'est-à-dire de la transmission par l'air). Il
est fort probable que Monseigneur de Merode connaissait la polémique
sur le sujet, lui qui s'intéressait aux sciences. Monseigneur de
Merode estimait qu'il devait faire son devoir et soigner les malades,
ainsi que les visiter pour leur remonter le moral. Devoir qui était
assorti d'un devoir d'exemple.
La
franchise de Monseigneur de Merode était notoire. On en donne
l'illustration suivante :
« Le
1er juillet 1866, Mgr de Mérode, nommé archevêque de Mélitène in
partibus infidelium, était sacré dans l'église de S'-Pierre.
Quelques jours après il était nommé aumônier de sa Sainteté.
Dans ces nouvelles fonctions, l'ancien ministre des armes gardait
toute l'intempérance de sa franchise. Le Pape lui disait Un jour
dans une de leurs promenades : « Vous parlez trop, Mérode, je vais
vous fermer la bouche. » « Je ne demande pas mieux, répliquait le
prélat, mais vous devriez en même temps me fermer les oreilles.
» »
Un
personnage dont l'orgueil fit les frais de cette franchise est le
compositeur Franz Liszt
« Mgr
de Mérode fut nommé Elemosiniere, aumônier du Pape. Ces fonctions
importantes, et toutes de confiance, le retenaient auprès du
Saint-Père. Il n'avait, du reste, jamais quitté l'appartement qu'il
occupait au Vatican depuis de longues années.
Cet
appartement était fort simple et rempli de cartes et de plans.
Il
était contigu à l'appartement de Mgr de Hohenlohe, depuis cardinal,
et alors aumônier du Pape.
Lorsque
Listz entra dans les ordres et devint l'abbé Listz, Mgr de
Hohenlohe, qui avait pour le grand pianiste beaucoup d'affection,
l'invita à loger dans son appartement. L'abbé, qui n'avait pas
renoncé à sa passion pour la musique, vint s'installer, avec son
piano, chez son compatriote. Mgr de Mérode rencontrait fort souvent
son voisin, le nouvel abbé.
Un
soir, qu'il avait été très-enchanté des récits que lui avait
faits le Commandeur de certains épisodes de sa vie artistique, Mgr
de Mérode prenant par le bras le nouveau converti : « — Tenez,
mon cher Listz, je vous aime, même avec votre piano, et Dieu seul
sait cependant ce que me fait souffrir mon bruyant voisin du Vatican!
»
Le
bon abbé n'était pas habitué à de semblables reproches, mais il
offrit béatement au Seigneur cette épreuve, blessure cruelle faite
à son ancienne vanité. »
Avoir
pour voisin direct un pianiste, n'est pas forcément de tout repos,
fut-il le virtuose Franz Liszt.
S'il
était généreux avec la Vérité qu'il ne manquait pas de remettre
sur son piédestal en toute occasion, Monseigneur de Merode l'était
aussi de ses efforts et de son patrimoine.
Son
oeuvre est gigantesque..
On
citera pêle-mêle en regrettant de ne pouvoir s'y attarder
davantage, et sans prétendre à l'exhaustivité :
la
création des zouaves pontificaux, un régiment de volontaires
visant à défendre l'Etat pontifical
l'amélioration
des prisons de Rome, notamment sur le modèle des prisons belges,
ces améliorations touchant aussi à l'hygiène
la
fondation de nombreuses écoles, à Rome (par exemple le Collegio
San Giuseppe – Istituto de Merode qui existe encore), mais
aussi en Belgique, par exemple à Rixensart l'école des filles des
soeurs de la Providence et de l'Immaculée Conception, bâtie non
loin du château.
la
construction d'églises, comme l'église Saint François-Xavier à
Rixensart (Bourgeois)
la
rénovation de Rome, en vue de l'assainir comme Paris fut assaini
par Haussmann en vue notamment d'éviter des épidémies, et la
création d'avenues comme l'ancienne Via de Merode devenue Via
Nazionale.
des
recherches archéologiques, entre autres des catacombes
diverses
oeuvres de bienfaisance et institutions charitables à Rome et
ailleurs.
Avec
une telle activité, Monseigneur de Merode ne prenait pas soin de sa
santé et se tuait littéralement à la tâche.
C'est
en juin 1874 qu'il contracta une mauvaise broncho-pneumonie en
visitant les catacombes Sainte Domitille durant les fouilles.
Evidemment, on ne peut pas s'empêcher de penser à un coronavirus
comme celui qui sévit actuellement.
Il
mourut avec un courage extraordinaire et une foi édifiante, dans la nuit
du 10 au 11 juillet 1874, après avoir reçu une dernière visite du
pape Pie IX.
Comme
écrit dans les Annales Catholiques de 1874 :
« Il avait vécu en Mérode, et tel il est passé, de ce monde
dans l'autre, j'ose dire .avec le courage et les emportements d'une
foi invincible; j'ose dire encore que, acceptant la mort, lui
souriant même, il s'est jeté dans le ciel, à travers des
souffrances et des tortures physiques qui n'ont pu lui arracher, ni
un cri, ni un gémissement. »
Rendons-lui
donc hommage ainsi qu'à tous les héros des épidémies, que leur
foi soit en Dieu ou en l'Homme.
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